Bruce Bégout
Bruce Bégout
Philosophe et écrivain
Il est maître de conférences à l’université de Bordeaux et a publié plusieurs ouvrages philosophiques, quatre essais aux éditions Allia (Zéropolis. L’expérience de Las Vegas, 2002 ; Lieu commun. Le motel américain, 2003 ; La Découverte du quotidien. Éléments pour une phénoménologie du monde de la vie, 2005 ; De la décence ordinaire, 2008), mais aussi un « documentaire fiction » à la manière de certains cinéastes tiré de son roman L’Éblouissement des bords de route (Éditions Verticales, 2004). Par ailleurs, il a participé à la revue Inculte avant de la quitter en février 2008. Il dirige maintenant la collection « Matière étrangère » aux éditions Vrin.
Ses travaux s’inscrivent dans la tradition de la phénoménologie. Spécialiste de Edmund Husserl, il se consacre à l’exploration du monde urbain, des lieux communs, mais aussi au quotidien.
J’arpente la zone. C’est le coeur de la nuit. Peu de signes de vie humaine apparaissent : quelques lumières faiblardes aux fenêtres, aucun passant, au loin le bruit assourdi d’un moteur. Tout est paisible ici. Je m’engage dans une rue étroite aux trottoirs asymétriques. Je sens les pavés inégaux sous mes pieds, la douleur secrète de l’inachevé. Au-dessus des toits, un halo lumineux crépite comme un feu. Sans doute les néons des discothèques. Il est presque trois heures du matin, et les clients entrent, sortent, parlent, rient, s’insultent. Le calme s’estompe peu à peu à mesure que je me rapproche des quais et de leur frange phosphorescente. Une voiture part en trombes. Sa rage déchire le silence nocturne. Un bruit de mille mobylettes. Une lampe s’allume derrière un volet. Je continue mon chemin sans trop savoir où je vais. Je me laisse haler par la corde du hasard. Je sens presque sa traction au creux de mon ventre. Au bout de quelques minutes à slalomer entre crottes et verres cassés, je débouche sur une esplanade au pied d’immeubles sombres et impressionnants. C’est un vaste terre-plein, défoncé en son centre par une sorte de cratère de chantier. Sur le côté gauche, une enfilade de camionnettes aux fenêtres bouchées par des plaques de papier aluminium. Je songe à des personnes allergiques aux ondes et sensibles à l’électromagnétisme. Puis je comprends la signification de cette fermeture aux regards et souris. Révélation nocturne. Mon cerveau commence à s’accoutumer à l’inversion qui l’entoure où tout ce qui est blanc devient noir, tout ce qui est droit devient courbe. Surgi de nulle part, un homme m’interpelle dans une langue que je ne connais pas. Silhouette sombre, il s’approche rapidement de moi et continue à me parler. Il veut une cigarette. Mais je lui fais comprendre que je ne fume pas. La seule chose qui m’intoxique c’est la nuit, son odeur sacré de gaz carbonique qui dérègle mes perceptions. On ne dormira jamais, dit Breton. Je le prends aux mots. L’homme s’éloigne et me prend pour un fou. Je le suis à distance. Mais il marche plus vite que moi et je le perds sous la passerelle SNCF. Il me semble être déjà passé par là. Je ne sais plus. Tous mes repères sont troublés par l’obscurité et la fatigue. J’erre dans une sorte de labyrinthe dont je suis le minotaure. Je sais que je n’ai rien à craindre si ce n’est de moi-même. Mes désirs m’ont toujours conduit aux bords des précipices de mon Etna intérieur. Mais la nuit est là, et me couvre de son voile protecteur. Alors je repars toujours tracté par l’indéterminé qui recule devant moi comme un horizon inaccessible. Et reprends une rue comme on reprend un verre.
BB
Proposition artistique
IMMERSION Un sous marin dans la nuit // Installation littéraire et filmique
Belcier est un quartier qui, la nuit, prend une tout autre dimension. Lieu de fête, de travail, de repos, de passage, de prostitution, d’amour et de haine, de plaisirs et de drames, cet espace aux frontières floues sis entre les quais, la Gare Saint-Jean et les boulevards, se métamorphose. Notre travail qui mêle écriture et vidéo cherchera à restituer dans sa nature propre cette ambiguïté de la nuit, sa profondeur et sa menace, sa promesse et ses troubles. Immersion propose ainsi une plongée dans l’atmosphère indécise de la nuit, une apnée sans sommeil, un bain sensoriel et intellectuel dans la matière flottante du nocturne urbain où les choses perdent leur identité claire pour devenir autres.
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TOUS LES JOURS
Sauf le mercredi, à partir de 21h30 / Durée 25 minutes / Sur Réservation